Entretien | LE PARTENARIAT SAVOIE – DESSALINES

Publié le 11/12/2024

Le Département de la Savoie entretient de longue date des liens avec la Commune de Dessalines en Haïti. Au fil des années et des nombreuses crises (politiques, sanitaires, catastrophes naturelles…), les liens entre les deux collectivités n'ont jamais cessé de se renforcer grâce à un solide ancrage de la coopération impliquant largement les populations et équipes, ici et là-bas.

Cet article a été rédigé dans le cadre du numéro 102 du Resa'Mag, consacré à la thématique « coopérer en contexte de crise ».

Vous pouvez retrouver l'article sur la coopération entre la Savoie et Dessalines soit dans le magazine, soit en contrebas de cette page.

Les photos sont la propriété de Pays de Savoie solidaires que nous remercions.

Nous faisons le choix dans le présent article de partager le riche échange que nous avons eu la chance d'avoir avec Paschaly JD Chery, directeur du CAPDEL et partenaire haïtien de Pays de Savoie Solidaires dans le cadre de cette coopération décentralisée.

Entretien avec Paschaly JD Chery

Pouvez-vous vous présenter et nous décrire votre parcours ? Comment avez-vous rejoint l'équipe de coopération entre le Département de la Savoie et la Commune de Dessalines ?

Je suis Paschaly JD Chery, directeur du CAPDEL, Centre d'Appui au Développement Local qui est le partenaire de l'association Pays de Savoie solidaires à Dessalines. J'ai commencé à travailler dans le cadre de ce partenariat en tant que bénévole, de 2001 à 2007. A l'époque, j'étais animateur jeunesse et j'avais fait des demandes pour intégrer la coopération afin de permettre aux jeunes d'être acteurs de leur territoire.
Puis en 2008, j'ai rejoint l'équipe comme assistant technique en appui à la mairie de Dessalines. Au moment de la création du CAPDEL, en 2015, j'en ai pris la direction. Le CAPDEL est la structure qui anime la coopération entre la Savoie et Dessalines du côté haïtien.
Aujourd'hui nous sommes une équipe de 6 personnes et nous travaillons quotidiennement avec nos collègues savoyards. Nous avons également l'appui de 5 bénévoles et de 5 jeunes volontaires.

Que représente ce partenariat pour vous et les populations locales ?

Aujourd'hui cette coopération est le principal soutien à la commune de Dessalines dans un contexte politique et sécuritaire compliqué. Cet appui ne remplace pas les autorités locales mais apporte une aide précieuse à la population sur les axes de travail de la coopération (ndlr : protection civile, jeunesse/citoyenneté, tourisme/patrimoine, gestion intégrée de la ressource en eau, gestion des déchets)

Deux exemples :

Au niveau de la sécurité sanitaire, notamment dans le cadre de la réapparition du choléra, il y a un eu manque d'implication réelle des institutions locales alors que les partenaires ont réagi rapidement et font de leur mieux pour réduire l'impact de l'épidémie. (ndlr : voir article ci-dessous)

On peut également le voir au niveau de l'axe jeunesse avec le projet « Initiaterre » qui fait suite au projet « Animaterre jeunesse ». Il s'agit d'une action d'accompagnement des jeunes qui restent en Haïti (soit par choix soit par manque de moyens pour partir) pour leur donner une autre perspective que de rejoindre les gangs.

En quoi le fait d'être un “local” facilite les choses ?

Sur de nombreux aspects :

  • Conserver des compétences sur la commune mais aussi renforcer les capacités des populations locales : on est dans une vraie démarche de coopération décentralisée.
  • Cela permet dans un pays comme Haïti, presque perpétuellement en crise, de garder vivante l'animation des programmes de coopération étant donné que nous n'avons pas reçu de chargé de mission français depuis 2018. Dans d'autres cas, cela aurait pu entrainer l'arrêt de la coopération alors qu'ici cela garantit sa pérennité.
  • Nous avons une meilleure connaissance du territoire et des acteurs locaux. Cela permet d'explorer de nouvelles pistes en cas de soucis avec les institutions locales comme c'est le cas depuis quelques temps, avec la fragilité des processus de décentralisation et la fragilité du gouvernement central. Cela a entrainé des difficultés à travailler avec les institutions locales qui ne vont pas forcément dans le sens des besoins de la population mais plus dans celui de l'intérêt des dirigeants.
  • Cela permet de trouver des stratégies adaptées au contexte et de proposer à PSs des modalités d'intervention :  la coopération évolue dans le temps et reste dynamique
  • Possibilité aussi d'anticiper certains problèmes que nous voyons arriver plus vite vu que nous sommes sur place.

Mais tout cela ne serait pas possible sans le soutien important de l'équipe de PSs qui nous laisse de la liberté d'action, en toute confiance, mais reste disponible si nous en avons besoin.

Si vous deviez passer un message aux collectivités françaises qui hésiteraient à se lancer dans ce type d'aventure ?

Je leur dirais deux choses :

  • Haïti a toujours été confrontée à des crises, mais dans une démarche de coopération décentralisée où on est dans une relation d'amitié et de respect mutuel, il est important d'être présent quand son partenaire est en difficulté. L'enjeu est de chercher comment continuer à agir et maintenir la relation.
  • Identifier des ressources au niveau local et les encadrer/former pour qu'elles puissent être en capacité d'animer la relation partenariale sur place, toujours en lien avec le partenaire français.

Est-ce que le fait qu'il n'y ait pas eu de délégation savoyarde en Haïti depuis 2018 est un problème pour la vie de la coopération ?

Non dans la mesure ou le maintien des échanges est effectif. Ce lien de territoire à territoire est crucial.

Quel avenir voyez-vous pour cette coopération ?

  • L'avenir de la coopération dépend en partie de la façon dont les dirigeants haïtiens vont résoudre les problèmes, d'insécurité notamment, ainsi que de l'organisation d'élections qui permettraient de revenir à un débat démocratique et à une légitimité des institutions locales.
  • Pour le moment, à Dessalines, la sécurité est relativement maintenue et le lien avec les acteurs savoyards est important.
  • Nous avons l'espoir que les déplacements soient de nouveau bientôt possibles pour permettre les voyages (notamment pour les jeunes volontaires) parce que même si les liens sont fréquents grâce à la technologie qui nous aide à sentir qu'on n'est pas seuls et que nous sommes soutenus, le dialogue, le partage d'expérience, de culture, tout comme le côté humain, passent plus facilement quand on se rencontre « en vrai ».

Avez-vous un message à faire passer ?

En contexte de crise il y a une chose très importante : le dialogue entre les acteurs du territoire. Accompagner les acteurs sur le terrain, les aider à réfléchir à leurs besoins et à trouver des solutions adaptées est essentiel.
Les maître-mots sont amitié et dialogue.

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Aller plus loin :

Cet article vous a intéressé ? Voici quelques pistes pour aller plus loin

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L’article paru dans le Resa’Mag

Coopérer malgré les crises : Le partenariat Savoie – Dessalines

Le Département de la Savoie entretient de longue date des liens avec la Commune de Dessalines en Haïti. Au fil des années et des nombreuses crises (politiques, sanitaires, catastrophes naturelles…), les liens entre les deux collectivités n'ont jamais cessé de se renforcer grâce à un solide ancrage de la coopération impliquant largement les populations et équipes, ici et là-bas.

Un peu d'histoire

La coopération entre le Département de Savoie et la commune de Dessalines, commune de 165 000 âmes située en Haïti, s'est amorcée il y a 35 ans, d'abord par des liens informels, puis se structurant peu à peu pour donner lieu à une convention de partenariat entre les deux collectivités, signée en 1997.
La coopération décentralisée avec Dessalines s'articule autour de 5 axes très concrets (financés avec l'appui de l'Agence de l'eau Rhône-Méditerranée-Corse et du Ministère de l'Europe et des affaires étrangères) :

  • La protection civile
  • La jeunesse et la citoyenneté
  • Le tourisme et le patrimoine
  • La gestion intégrée de la ressource en eau
  • La gestion des déchets

Là où de nombreuses coopérations décentralisées ont dû être suspendues ou tout bonnement abandonnées à cause de crises (politiques, institutionnelles, sanitaires, ou encore liées à des catastrophes naturelles), les liens entre la Savoie et Dessalines se sont sans cesse réinventés, en s'adaptant aux nouveaux contextes, voire même travaillant à prévenir de nouveaux épisodes.
Pourquoi ? Parce que c'est plus particulièrement en situation de crise que les partenaires ont le plus besoin de soutien. Comment ? Grâce à un fonctionnement qui s'appuie sur les acteurs territoriaux.

Des acteurs locaux ayant une parfaite connaissance du territoire

L'une des principales particularités de cette coopération est qu'elle fonctionne grâce à deux équipes (mais qui se considèrent comme une seule) basées en Savoie d'une part, avec PSs (Pays de Savoie solidaires), et à Dessalines d'autre part, à travers le CAPDEL (Centre d'Appui au Développement Local).
L'équipe côté CAPDEL est composée uniquement d'Haïtiens. Pourquoi ?
Parce que ce fonctionnement assure la pérennité du partenariat contrairement à une équipe d'expatriés sur place ou le recours à une ONG internationale.
En effet ces dernières viennent souvent pour des actions à durée limitée (notamment en cas d'urgence comme lors du séisme de 2010) ; elles sont par ailleurs soumises plus fortement aux conditions de sécurité. Par exemple, Médecins Sans Frontières a dû fermer des hôpitaux dont ils ne pouvaient pas assurer la sécurité en Haïti.

Cette problématique est aussi celle des expatriés qui sont rapidement rapatriés dans leurs pays d'origine en cas d'insécurité.
Ainsi c'est la double peine pour les populations locales.
La situation est beaucoup plus stable en faisant appel aux Haïtiens, qui vivent de fait sur place. Ces derniers ont également des liens privilégiés et de confiance avec les acteurs locaux qu'ils soient institutionnels ou informels.

Un exemple concret :
Face à l'instabilité actuelle au niveau du gouvernement central haïtien, les municipalités ne sont plus dirigées par des élus locaux, mais par des personnes nommées par le gouvernement. Leurs intérêts ne convergent donc pas nécessairement toujours avec les besoins et désidératas des populations. C'est ainsi que, grâce à la connaissance fine des institutions locales, l'équipe haïtienne a opéré un rapprochement avec d'autres interlocuteurs locaux, comme les CASEC (Conseil d'Administration de la Section Communale) qui sont au plus près des besoins des territoires mais qui sans l'appui de la coopération avec PSs n'auraient plus les moyens d'agir. On a donc eu une évolution importante du partenariat qui « s'est élargi progressivement d'une coopération de collectivité à collectivité à une coopération de territoire à territoire. »

Maintenir les repères

Même sans actions de grande envergure, le maintien de la coopération a notamment permis de préserver des éléments de culture locale essentiels pour la population, comme la Fête de l'Empereur, contribuant à conserver un semblant de normalité dans un contexte qui n'en n'offre pas beaucoup l'occasion.
L'une des forces de cette coopération est aussi de s'intéresser à la jeunesse. C'est un véritable enjeu pour éviter tant la fuite des compétences à l'étranger que l'embrigadement dans les gangs qui gagnent chaque jour en influence sur le territoire.
Ainsi les jeunes ont accès à des activités mais aussi des formations, renforçant leur engagement sur leur territoire et leur offrant des perspectives. Par exemple, des jeunes de 10/12 ans qui ont été bénéficiaires des activités peuvent ensuite se former pour en assurer la continuité (via des formations d'animateur). Un nouveau dispositif lancé cette année permet d'aller encore plus loin avec les jeunes adultes via la création d'une forme de volontariat dans les institutions locales. En parallèle, les jeunes mobilisés sont formés à la gestion de projet par le montage d'actions autour de la citoyenneté.

Ce dispositif a été réfléchi et co-construit avec des professionnels jeunesses de Savoie afin d'élaborer un programme et un fonctionnement adaptés à Haïti.
Quand la situation sécuritaire se sera améliorée, l'objectif est d'organiser des échanges physiques entre des jeunes dessaliniens et savoyards.

Limiter l'impact des crises

Autre axe intéressant de cette coopération qui s'inscrit dans la durée : l'action locale et ciblée permet parfois de réduire considérablement l'impact des crises.
Il y a eu récemment une résurgence du choléra en Haïti.
Dans le cadre de la coopération, PSs travaille depuis des années avec les institutions sanitaires locales dans le cadre de la promotion de l'hygiène. Alors, quand il y a eu des cas de choléra sur le secteur, PSs a été sollicitée.
Il n'était clairement pas possible de créer un hôpital de campagne (pas les moyens, pas la compétence) mais par contre, sur place, les équipes étaient déjà mobilisées et un fonds d'urgence existait. Cela a permis la mise en place rapide d'équipes de prévention auprès des populations dès l'identification de cas de choléra.
Ces actions de prévention ont eu de bons résultats et ont contribué à circonscrire l'épidémie, là où les autorités locales ont parfois tardé à faire appel à de grosses ONG internationales.  
Rien de tout cela n'aurait été possible sans un solide ancrage local de la coopération.
Ces exemples montrent l'importance des liens entre territoires, au-delà des liens purement institutionnels et dans un souci de réciprocité, encore plus en période de crise.

Article rédigé avec la collaboration de l'équipe de PSs (R. Ferrut) et du CAPDEL (P. Chery)

Une nouvelle coopération avec le Liban

Le Département de la Savoie, fort de ses expériences avec Haïti, le Sénégal, et anciennement avec la Roumanie, a décidé en 2021 de s'engager dans une nouvelle coopération avec le Liban.

En 2022 se sont ainsi tissés des liens avec des collectivités locales libanaises. La première action concrète a été réalisée en 2023 avec la Commune de Qaa dans le domaine de l'énergie solaire, via l'équipement d'écoles en panneaux solaires et l'animation d'ateliers de sensibilisation aux écogestes. Puis le thème de l'insertion socio-économique des jeunes a été choisi pour la suite du partenariat.

Mais la guerre au Proche-Orient est venue complexifier les choses, avec notamment une arrivée importante de familles déplacées à Qaa. Soucieux d'être aux côtés de son partenaire dans ce contexte de crise, le Département de la Savoie a voté cet automne une aide exceptionnelle de 15 000 € pour contribuer à cet accueil d'urgence et co-construire une action d'accompagnement psycho-social auprès de la jeunesse.

En savoir plus sur cette coopération : https://paysdesavoiesolidaires.org/cooperations-solidaire-en-savoie/liban

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