Entretien | Quand la culture vient en soutien aux populations : génèse du projet Art of Peace

Publié le 11/12/2024

Cet entretien est une version longue de celui publié dans le n°102 du Resa’Mag en décembre 2024.
L’équipe de RESACOOP remercie monsieur de Contenson pour sa disponibilité.

Dès le début du conflit en Ukraine, de nombreuses personnes se sont mobilisées, à différentes échelles, soit pour l'accueil des réfugiés, ici en France, soit pour soutenir les populations locales, victimes de la guerre à différentes échelles. Parmi ces personnes mobilisées, un élu du département de l'Allier, à la fois conseiller départemental mais également maire de la commune rurale de Couzon, a choisi d'agir sur les deux fronts. Cette démarche est dans la suite logique des nombreuses années d'engagement de Christophe de Contenson avec qui nous avons pu nous entretenir sur son projet.

Plan de l’article :

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Entretien

Dès le début de la guerre en Ukraine, avez été mobilisé pour soutenir la population Ukrainienne, quelles formes cela a-t-il pris ?

Le Département de l'Allier a souhaité faire quelque chose dès l'attaque russe sur l'Ukraine.  De par mon parcours personnel et mon rôle de conseiller départemental en charge de la coopération internationale, j'ai été sollicité par le Président du Conseil départemental afin de coordonner l'accueil des réfugiés ukrainiens sur notre territoire, en lien avec les services de la préfecture et les associations locales. L'action a été circonscrite aux compétences du Département, à savoir la facilitation administrative et l'accueil dans les collèges par exemple. Cela m'a toutefois permis de rencontrer les réfugiés et de voir dans quelle détresse psychologique ces derniers se trouvaient et leur besoin de soutien à ce niveau-là.

Par ailleurs, quand j'avais 23 ans, j'ai fait un voyage au Cambodge au moment des génocides des Khmers rouges. J'y ai vu la détresse des populations, les ravage causés ainsi que les charniers. Cela m'a profondément marqué et quand j'ai vu les images de la guerre en Ukraine, cela a fait écho à tout cela. Ayant davantage de possibilités d'agir aujourd'hui qu'à l'époque, j'ai ressenti le besoin de faire plus.

En premier lieu, dans le cadre de mon mandat de maire de Couzon, j'ai souhaité développer un jumelage avec une commune ukrainienne et ai pris contact avec une commune des Carpates ukrainiennes dont les enjeux de territoires, notamment le cadre rural, correspondaient à ceux de ma collectivité. Je devais me rendre sur place pour les rencontrer mais quelques jours avant le départ, à cause de loi martiale, il m'a été déconseillé de m'y rendre.

Malgré cette situation, vous avez tout de même souhaité vous rendre sur place pour agir davantage. Pourquoi ?

J'ai souhaité maintenir mon voyage, d'autant plus qu'un passage par Kyïv* était prévu.

Ayant une appétence et un parcours avec le domaine de l'art, je suivais déjà plusieurs artistes ukrainiens via les réseaux sociaux.  Cela a fait germer l'idée d'aller à leur rencontre pour travailler sur la question de l'art en temps de guerre. J'ai emmené avec moi Félix Giraudon, documentariste, dans l'optique de rendre compte de ces rencontres.

Christophe de Contenson,
élu et engagé

Christophe de contenson est conseiller départemental de l'Allier délégué au Monde Combattant, à la mémoire, à la coopération internationale et à l'action du Conseil départemental en faveur des exilés ukrainiens. Il est également Maire de la commune de Couzon, conseiller communautaire à Moulins Communauté et président du SIVOM Eau et assainissement Nord Allier.
Après un riche parcours professionnel dans le secteur privé, il a pris la décision de prendre la direction du continent africain, au Burkina Faso, où pendant près de 15 ans, il s'est engagé à titre personnel dans des projets de médiation et d'insertion par l'art.
Revenu en France il y a quelques années dans le département de l'Allier, il a poursuivi son engagement en s'investissant dans la politique locale. Son profil en lien avec la solidarité internationale le conduit à porter, avec les agents du Département, la coopération internationale, d'abord à travers les coopérations décentralisées de la collectivité, puis dès les débuts du conflit en Ukraine, la coordination de l'accueil local des réfugiés.
Estimant qu'il dispose aujourd'hui de moyens d'agir et désireux de s'investir pour son prochain, il porte également à titre personnel, plusieurs projets en lien avec la solidarité internationale et l'interculturalité.

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Comment s'est passé votre arrivée sur place ?

La découverte de la capitale ukrainienne a été saisissante à plusieurs niveaux. Déjà, c'est une ville magnifique, qui fait une grande place à l'art et à la culture ; cela contraste complètement avec les images de guerre et de destruction. Ensuite, c'est surtout le contact avec la population qui a été marquant.

Les ukrainiens rencontrés avaient à cœur  deux choses essentielles pour eux : Ils essayent de vivre le plus normalement possible, malgré le contexte, pour ne pas donner davantage de prises aux russes sur eux à travers la terreur qu'ils essayent de semer dans la population. En second lieu, il y a une véritable volonté de soutenir l'effort de guerre en faisant tourner l'économie nationale. Cela génère une ambiance générale assez étrange.

Vous avez été à la rencontre des Ukrainiens, qu'en retirez-vous ?

Les gens, devinant que nous étions étrangers, se sont montrés très touchés, mais surtout reconnaissants de voir que l'on se souciait d'eux. Au fil des échanges et des rencontres, nous avons pu nous entretenir avec tout un panel de gens, notamment des jeunes artistes et étudiants, sur leurs ressentis, leur positionnement par rapport aux russes… Cela nous a fait évoluer légèrement le projet initial. Nous avons choisi de mixer la valorisation du patrimoine culturel avec les témoignages poignants de ces jeunes, génération sacrifiée et à la fragilité psychologique palpable, déterminés à ne pas montrer de peur ou de désespoir à leurs assaillants. Nous avons quitté Kyïv avec des photos, des vidéos et la volonté d'en faire quelque chose pour agir en faveur du soutien psychologique aux populations locales.


Ce voyage vous a permis de dessiner les contours du projet Art of Peace. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Le projet est né des rencontres, ici et en Ukraine, qui nous ont montré à quel point la question de la santé mentale est importante. Cela est aussi entré en résonnance avec les actions de Madame Zelenska, qui a obtenu des fonds européens afin de construire des centres médico-psychologiques pour traitement des troubles de stress post traumatique (TSPT) après la guerre.

Nous avons également choisi d'aborder cette thématique par le prisme de l'art, et de la culture, moins marqués politiquement que d'autres leviers d'actions, mais permettant au passage une meilleure connaissance et compréhension de l'autre.

Le projet s'est dessiné sur ce principe et en lien avec le projet ukrainien Art Therapy Force. L'objectif est de financer un bus à deux étages qui se rendra régulièrement à proximité des zones de guerre : un étage pour des ateliers d'art-thérapie, notamment à destination des enfants, et un autre pour accompagner psychologiquement ceux qui en ont besoin. (voir encadré)


Vous avez opté pour un mode de financement original, sans solliciter de deniers publics ou de fondations.

Nous avons choisi de financer ce projet de plusieurs façons.

La publication d'un livre, fruit de notre voyage à Kyïv. « RESISTER: Art et culture en temps de guerre » a non seulement pour objectif de collecter des fonds pour le projet, de sensibiliser les gens ici en leur montrant la beauté du patrimoine de la capitale ukrainienne qu'il faut protéger, mais aussi le contraste avec les portraits des jeunes rencontrés, symbolisant l'absurdité de ce conflit.

Nous nous sommes beaucoup engagés dans la promotion de ce livre, sorti en février 2024 et dont les bénéfices seront intégralement investis dans le financement du bus.

En sus, nous avons également produit un documentaire tiré de ce même voyage ; il montre une incarnation de la guerre chez les jeunes générations et l'impact du conflit sur eux et leur perception de l'avenir.

Je suis également très mobilisé sur la sollicitation d'élus locaux, de Rotarys clubs ou encore d'entreprises pour faire connaître et diffuser ces supports mais aussi pour quérir un soutien financier.

Un certain nombre de collectivités comme la Ville de Grenoble, ou encore Vichy, ont ouvert leur porte à des initiatives en lien avec le projet. D'autres collectivités en dehors de notre région se sont également mobilisées comme le Territoire de Belfort, la Ville de Toulouse ou encore la Ville de Bordeaux.

Je suis d'ailleurs à disposition de toute collectivité qui souhaiterait projeter le documentaire et organiser un temps d'échanges autour de ce dernier !

D'ailleurs, le bus n'est même pas encore sur les routes ukrainiennes qu'il fait déjà des émules ?

En effet, à l'occasion d'un récent voyage au Pakistan, j'ai été à la rencontre de la communauté des Ismaéliens, qui prônent un Islam inclusif et ouvert aux autres cultures.

Pendant ce voyage, j'ai échangé avec des chefs d'entreprises locaux déjà venus en Allier pour des échanges économiques. Je leur a parlé du projet et ils ont été très intéressés. Ils ont proposé d'apporter un soutien financier pour sa réalisation tout en émettant le souhait que ce dernier soit répliqué dans d'autres zones de conflit, et plus particulièrement en Palestine quand cela sera possible.

Ce voyage a également donné naissance à un autre projet de livre qui sera à la fois un recueil d'entretiens avec une vingtaine de personnalités pakistanaises ainsi qu'un corpus de photos de ce pays magnifique qu'est le Pakistan. Cet ouvrage qui devrait paraître courant 2025 servira également à financer les projets de solidarité internationale évoqués dans cet article.

Affaire à suivre…

* «Kiev» en ukrainien. Par respect pour les populations locales, nous employons cette orthographe.

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Art of Peace* : Un bus itinérant pour guérir des chocs de la guerre

L'association Art of Peace est encore en cours de création d'un point de vu administratif, mais le projet lui, est déjà bien lancé.


Descriptif du projet (texte de l'association)

Il s'agit d'un projet de mise en circulation d'un bus un peu particulier, en lien avec le projet ukrainien ART THERAPY FORCE.

L'objectif est de créer un bus à 2 étages aménagé en atelier d’art thérapie et à l’étage en salles de consultation afin d’apporter à proximité des zones de guerre, dans les villes et villages un suivi psychologiques auprès de tous. Les chocs post-traumatiques sont colossaux. Il est urgent d’agir. Tant que la guerre perdure la construction de centres d’accueil pour les suivis psychologiques envisagés par madame Zelenska avec des fonds européens ne pourra se faire. L’objectif et d’aller remettre ce bus, une fois aménagé, dès que possible pour être immédiatement opérationnel auprès des populations qui en ont besoin.

*Note de la rédaction : vous aurez noté que le nom du projet n'a rien d'anodin. En effet, on joue ici sur des termes aux sonorités parentes (Art/Heart et peace/piece) qui donnent à la fois plusieurs significations, mais toutes porteuses de sens, à ce projet.

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Résister : Art et culture en temps de guerre

Fruit du voyage de Christophe de Contenson et de Félix Giraudon dans la capitale ukrainienne en 2023, ce livre dresse un portrait inattendu de l'Ukraine à travers deux axes forts : montrer la beauté de Kyïv, ville d'art et d'histoire, contrastant avec les images de guerre et de bombardement dont nous sommes quotidiennement abreuvés, mais aussi partager le témoignage de jeunes ukrainiens, partagés entre résistance et ressentiment face à l'ennemi russe. Au fil des pages, l'objectif est de mieux comprendre l'autre, à travers sa culture, mais aussi son présent, à travers sa jeunesse.

Synopsis :

Dans un pays qui, dans le plus parfait mépris des lois internationales, a subi en 2022 une invasion unique, Kyiv a su au cours de combats d'une violence inouïe, repousser l'armée russe pour rentrer désormais dans une autre forme de résistance. Si quelques photos de guerre introduisent notre propos, comme un rappel à ce qui s'y passe toujours, nous avons voulu, a contrario, montrer la beauté de cette ville et la folie que représenterait la destruction de monuments pour des millénaires.

« Be brave like Ukraine ». Une jeunesse dynamique, résiliente à laquelle nous avons donné la parole afin qu'elle témoigne de ses vérités. Ces photographies d'une vie quotidienne en apparence sereine malgré les alertes missiles, ces peintures murales réalisées par des artistes de renommée internationale, d'autres conjointement avec des artistes ukrainiens suscitent un émerveillement de chaque instant. Quand les tulipes du printemps de Kyiv, les chefs d'œuvres architecturaux et les œuvres d'art essaimées ainsi ici et là témoignent de la force d'une culture comme arme de guerre face à la folie destructrice de l'ennemi.

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Petite histoire | Quand l'Allier s'invite sur une grande place de Kyïv

Avant de partir en Ukraine, Christophe de Contenson a fait imprimer une bannière soulignant le soutien des habitant de l'Allier aux Ukrainiens notamment dans l'accueil des réfugiés. Il est parti avec cette dernière dans ses valise et l'idée de l'afficher dans les rues de la capitale. C'est sur la place de l'Indépendance (aussi appelée Maïdan) que son choix s'est porté pour afficher cet étendard solidaire. L'armée, présente sur place, lui a alors signalé que cela était interdit, cependant, l'édile ne l'a pas entendu de cette oreille et a pris contact avec les autorités locales afin qu'elles autorisent cet affichage. La détermination a payé puisque la banderole est encore sur place, rappelant aux Ukrainiens qu'ils ne sont pas seuls, et que quelque part en France, il y a des gens qui les soutiennent.

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