Le cadrage se rapporte à notre façon de représenter les pays du sud. Cette section explique l’essence des cadres et montre comment ces cadres sont connectés à des valeurs sous-jacentes. Elle donne des exemples de cadres constructifs permettant de communiquer sur les habitants des pays du Sud.
Lorsque le temps fait défaut, il nous arrive souvent de communiquer sur notre travail de la même manière qu’à notre habitude. On pourrait dire, de manière quelque peu provocatrice, que nous racontons nos histoires dans notre zone de confort, en utilisant la formule : « le monde est rempli de problèmes, c’est une bonne chose que nous nous en occupions, vous devriez nous en être reconnaissants ».
Reflexion
Lisez à nouveau les textes principaux du site web de votre organisation ou sa dernière newsletter. Dans quelle mesure avez-vous utilisé un langage dit de “zone de confort” ?
Les pays du Sud offrent bien plus qu’une histoire unique. En continuant à raconter inlassablement cette même histoire sur la pauvreté et le désespoir, nous privons nos destinataires de la myriade 15 d’autres histoires sur l’éducation, le commerce et la vie familiale, qui caractérisent également les expériences journalières des habitants des pays du Sud. Il doit y avoir un espace pour les histoires constructives reconnaissant les problèmes mais suggérant également des solutions réalisables. Ces histoires nuancées nous rapprocheront de la réalité et permettront aux destinataires de se créer une image plus réaliste des défis mondiaux.
Les cadres traduisent des façons de voir le monde qui nous entoure. Il s’agit donc de choisir les mots et les images de manière à souligner certains aspects de la réalité. Ces éléments soulignés montrent au public quelles sont les problématiques importantes.
Les cadres peuvent être perçus comme des récits différents sur une problématique spécifique. Chaque cadre est composé de différents éléments : il nous informe sur l’essence de la problématique, ses causes et conséquences, les valeurs morales impliquées et les solutions. Les cadres se manifestent sous la forme d’éléments de textes de communication comme des mots clés, des visuels, des images stéréotypées, des slogans, des appels à la morale et des outils symboliques. Par exemple, la photo d’un réfugié exténué, accompagnée de mots tels que « sécheresse », « souffrance », « famine », peut être interprétée comme le récit d'une situation où la victime en proie à des circonstances tragiques. Nous n’avons pas besoin d’être exposés au cadre dans son ensemble : en voyant la photo de ce réfugié, nous comprenons le message moral selon lequel cette personne est en souffrance et a besoin de notre aide.
Le cadrage est un aspect indissociable de la communication. Il est impossible de communiquer sur des problèmes de société sans utiliser de cadres et nous les utilisons la plupart du temps de manière inconsciente. Ils peuvent aussi être utilisés par les politiciens, les journalistes et les publicitaires mais 16 également par la société civile et les organisations de défense des droits de l’homme qui veulent mobiliser la population et faire appel aux valeurs morales.
Exercice : Quel cadre convient à votre organisation ?
Réalisez le test suivant à l’aide de ces quatre questions afin d’évaluer quel(s) cadre(s) correspond(ent) à la vision et à la mission de votre organisation.
Exercice : reconnaître les cadres de la pauvreté mondiale dans votre communication
La liste de questions d’interprétation suivante vous aide à reconnaître les cadres de la pauvreté dans les textes, images et vidéos. Cet exercice peut être utilisé afin d’évaluer le cadre de votre propre communication.
Questions à vous poser
● Quels cadres correspondent le mieux à la vision et la mission de votre organisation ?
● Quels cadres sont principalement utilisés par votre organisation ?
● Quels cadres nous aideront au mieux à atteindre les Objectifs de développement durable ?
● Quels cadres avez-vous l’intention d’utiliser pour votre projet ?
Ce cadre affirme que la pauvreté est une problématique liée à un retard de développement. Au cours de l’histoire, les personnes de par le monde ont amélioré leurs conditions de vie et ce processus est toujours en cours. L’essentiel est que les populations du Sud aient la possibilité de se rattraper. Il faut faire croître l’économie, améliorer l’éducation et la santé, étendre les infrastructures, etc. Les pays occidentaux peuvent aider en apportant des fonds, leurs connaissances et leur expertise. Le cadre de la progression rayonne d’optimisme : le développement est bénéfique à tous et nos enfants auront un meilleur avenir. Ce cadre peut parfois être reconnu par des métaphores impliquant un élément de mouvement, tel que « échapper à la pauvreté ». Il peut également être décrit comme un projet à phases et à objectifs mesurables. Ce cadre inclut des images portant des signes d’amélioration et de technologie moderne, telle que la construction de routes et d’hôpitaux ou l’utilisation de panneaux solaires. Les « objectifs » et « cibles » dans le cadre du développement durable sont des exemples de cadre de la progression, tout comme le terme « pays en voie de développement » et « travail de développement ».
Le cadre de la progression permet de contribuer à une image positive des pays du Sud, en représentant ses populations en tant qu’actifs et diligents, ainsi qu’en mettant l’accent sur le changement et les accomplissements. Cependant, il est important de noter que le cadre peut être employé à la fois dans un contexte positif et un contexte négatif. De ce fait, il peut également communiquer sur le manque de progrès et dès lors renforcer la perception selon laquelle rien ne change jamais dans les pays du sud. En outre, ce cadre peut souligner l'écart entre le monde « développé » et le monde « sous-développé » et par conséquent, et cela de manière nonintentionnelle, représenter les populations du Nord comme étant meilleures, plus sages et plus avancées que celles du sud.
Le cadre de la justice sociale met en récit la pauvreté comme une affaire d’injustice et d’inégalité. La pauvreté dans un monde d’abondance est le signe que les sociétés sont organisées de manière inéquitable : les personnes ne bénéficient pas d’opportunités et de libertés suffisantes pour façonner leur vie et pour subvenir à leurs propres besoins. La pauvreté n’est pas limitée aux pénuries matérielles mais s’étend aux aspects immatériels tels que la discrimination, l’exclusion et la négation des droits, comme par exemple, pour les femmes, les employés ou les personnes en situation de handicap. Le principe moral sous-jacent est la dignité intrinsèque et les droits de chaque être humain. Ainsi, il affirme que la mobilisation envers les populations des pays du Sud doit être basée sur les liens sociaux et la solidarité mutuelle. Le cadre de la justice sociale, transparaît dans les principes de nombreuses organisations de développement qui soulignent « l’autonomisation » et « la revendication des droits » des pauvres. Par exemple, ce cadre peut être reconnu par des mots tels que « (in)justice », « (in)égalité », « discrimination », « droits » et « lutte ». Des exemples visuels du cadre sont des photos des personnes exclues, brimées ou traitées de manière injuste, ou des images montrant l’inégalité telles que des bidonvilles devant des bâtiments clinquants.
Le cadre de la justice sociale a un pouvoir fort pour exprimer l’importance de la solidarité mondiale. En soulignant les droits de l’homme de manière indissociable, le message implicite du cadre est que nous sommes tous égaux et que les populations du Sud sont comme nous. Pareillement au cadre de la progression, ce cadre peut mettre en lumière des développements encourageants, tout comme des éléments problématiques. Il peut dépeindre comment les personnes luttent avec succès pour leurs droits mais aussi comment ils sont exclus et opprimés. Si le cadre est uniquement utilisé de manière négative, il peut renforcer la perception selon laquelle les populations des pays du Sud sont démunies et faibles.
Le « village mondial » est un terme qui souligne les interdépendances croissantes dans un environnement mondialisé. Le thème central du cadre du village mondial est que nous sommes tous logés à la même enseigne et que nous partageons les mêmes responsabilités concernant l’avenir durable de la planète. Notre avenir sera de plus en plus marqué par des problématiques transfrontalières telles que le changement climatique, les pénuries d’eau, la sécurité alimentaire, qui ne peuvent pas être résolues à l’intérieur des frontières nationales. Les personnes les plus pauvres parmi les populations des pays du Sud sont les plus touchées par ces problématiques mondiales. Dans le même temps, une pauvreté chronique a tendance à aggraver les problèmes transnationaux et à empêcher la mise en œuvre d'un avenir durable pour tous.
Le village mondial est un cadre important de la communication sur les objectifs de développement durable. Ce cadre est également utilisé pour mettre l’accent sur nos responsabilités de « citoyens du monde », par exemple, en ce qui concerne l’économie d’eau et d’énergie. Les outils verbaux du cadre du village mondial sont des mots et des expressions tels que « interdépendances », « connexion » et « biens communs ». Les exemples visuels sont des images faisant état des conséquences du changement climatique, telles que les sécheresses et les inondations pour les populations pauvres des pays du Sud.
Le cadre du village mondial souligne les interdépendances mondiales et le partage des responsabilités sous-jacentes aux Objectifs de développement durable. Ainsi, ils ont une forte capacité à améliorer la mobilisation sur les objectifs mondiaux. Le cadre est tout particulièrement propice à la communication sur des problématiques à dimension internationale. Cependant, il est moins utilisé lorsqu’il s’agit de communiquer sur des dimensions purement locales de la pauvreté dans les pays du Sud.
Le cadre du blâme est basé sur l'idée que les pays riches nuisent aux pays pauvres. Il souligne le rôle coupable des pays du Nord. Les pays riches ou les élites ont causé ou font perdurer les problèmes dans les pays du sud. Par le passé, ils ont porté atteinte aux pays pauvres à travers la colonisation et l’exploitation des ressources naturelles. Aujourd’hui, ils nuisent aux pays pauvres à travers le système économique mondial inégal, l’accaparement des terres et les « mauvaises conduites » de ses multinationales avec par exemple l’exploitation des travailleurs et la pollution de l’environnement. Par conséquent, ce cadre affirme que les problèmes des pays du sud ne peuvent être résolus que si les choses changent dans les pays du nord.
Le cadre du blâme sous-tend des campagnes telles que celles sur la justice fiscale (Tax Justice), sur les marques (Behind the Brands) et sur l’accaparement des terres (Stop the Land Grab) qui tiennent les entreprises et les gouvernements pour responsables de leurs actions dans les pays du sud. Ainsi, le cadre peut être un outil performant pour attirer l’attention sur leurs méfaits et les motiver à changer leurs comportements. Cependant, lorsqu’il cible des citoyens individuels des pays du Nord, ce cadre peut faire remonter des sentiments de honte et de culpabilité et par conséquent baser l’engagement envers les pays du Sud sur des sentiments négatifs de reproche au lieu d’un sentiment positif de solidarité.
La souffrance et l’indigence des personnes vivant dans la pauvreté sont au cœur de ce cadre. Ces personnes sont en proie à des circonstances tragiques et elles n’en sont pas responsables. Le cadre se focalise sur comment le manque de nourriture, d’abri, de soins médicaux et d'autres besoins fondamentaux contribuent aux conditions de vie misérables. Quelle que soit la cause de la misère, elle est au-delà de l’influence et de la responsabilité des victimes. Elles ne peuvent rien y faire pour changer les choses. Le cadre de victime représente le pauvre comme étant impuissant et innocent. Il évoque la sympathie et la compassion et appelle à l’aide des plus riches. La victime innocente est la plupart du temps présente dans les témoignages et les campagnes de collecte de fonds relatives à des catastrophes naturelles et des situations d’urgence. L’image clichée de la victime est l’enfant affamé avec une mouche au coin de l’œil. D’autres images appartenant au même cadre représentent un occidental apportant son aide.
Le cadre de victime peut être très performant pour stimuler de la compassion et engager les personnes dans une démarche de don. Cependant, il a également ses inconvénients. Premièrement, il réduit l’engagement des personnes dans la problématique de la pauvreté mondiale et de l’injustice à des sentiments de pitié et de compassion. Deuxièmement, il contribue à une vision du monde qui sape l’engagement du public sur le long terme. Ce cadre envoie le message selon lequel les problèmes du monde sont tellement incurables que la seule chose que nous pouvons faire est de coller un pansement sur la blessure. Enfin, le cadre dépeint les populations des pays du Sud comme étant impuissantes et en souffrance. A force de répéter ce type de cadre, il se cristallise dans l’esprit des personnes des pays développés. Par conséquent, ce cadre doit être utilisé avec soin et être potentiellement équilibré avec d’autres cadres.
Les cadres font appel aux valeurs des personnes. Les valeurs sont des idéaux et des objectifs désirables donnant une direction à la vie des individus ou des groupes. On peut donner comme exemple de valeurs la liberté, la sagesse et l’autodiscipline. Les valeurs sont les bases du comportement car elles influencent la motivation et les objectifs des personnes. Ainsi, afin de comprendre l’effet des cadres sur les attitudes et les comportements des personnes, il est important de comprendre les principes de base des valeurs humaines.
Questions à vous poser
● Quelles valeurs sont importantes dans le travail de votre organisation ?
● Quelles valeurs guident la mobilisation de votre organisation dans la coopération au développement ?
● Observez le cercle de valeurs de Schwartz. Dans quel(s) segment(s) se trouvent les valeurs de votre organisation ?
● Dans quel(s) segment(s) du cercle positionneriez-vous les cinq cadres de pauvreté mondiale (progression, justice sociale, blâme, village mondial et victime)?
Le psychologue social Shalom Schwartz a identifié 56 valeurs qui sont communes à tous. Ces valeurs sont la base de nos motivations et les standards selon lesquels nous jugeons nos propres actions et celles des autres. Ces valeurs entrent toutes en corrélation. Schwartz les a cartographiées dans un modèle circulaire qui illustre comment les valeurs individuelles s’influencent entre-elles.
Par exemple, les valeurs d’ouverture d’esprit et d’égalité sont proches l’une de l’autre dans le cercle de valeurs, ce qui signifie qu’elles sont étroitement liées, tandis que des valeurs disparates comme la richesse et la vie spirituelle sont éloignées l’une de l’autre. Nous possédons tous ces différentes valeurs mais le poids que nous leur accordons diffère selon les personnes. Leur ordre de priorité influence nos actions, telles que nos choix de carrière, notre structure familiale et nos convictions politiques. Les valeurs peuvent être « engagées » de manière temporaire lorsqu’elles reviennent à l’esprit suite à une communication ou une expérience et cela peut affecter nos attitudes et nos comportements. Lorsque l’on nous rappelle les valeurs de bienveillance par exemple, nous sommes plus enclins à répondre de manière positive à des appels à l’aide ou au don.
Les dix groupes de valeurs peuvent être divisés en deux axes majeurs, comme indiqué ci-dessous :
1. L’affirmation de soi (basée sur la recherche du statut social et du succès) s’oppose à la transcendance (généralement concernée par le bien-être des autres);
2. L’ouverture au changement (centrée sur l’indépendance et la préparation au changement) s’oppose aux valeurs de stabilité (qui n’est pas liée à la protection de la nature ou de l’environnement mais à « l’ordre, la restriction personnelle, la préservation du passé et la résistance au changement »).
Les valeurs positives permettant d'approfondir et pérenniser le soutien au développement se trouvent dans « l’ordre supérieur » des valeurs de la transcendance. Il s’agit de valeurs telles que l’universalisme et la bienveillance. Ces valeurs positives sont en conflit avec les valeurs d’affirmation de soi comme le « pouvoir, l'accomplissement et l'hédonisme ». Ces valeurs d’universalité et de bienveillance peuvent être utiles pour pousser à l’action et toucher un large éventail de problèmes « plus importants que soi » tels que l’injustice et la pauvreté dans le monde.
Dans son travail sur les valeurs, Schwartz a découvert d’importantes caractéristiques sur les valeurs humaines :
1. L’effet de bascule : plus vous articulez et activez un ensemble particulier de valeurs, plus vous fragilisez les valeurs situées à l’opposé du cercle de valeurs.
2. L’effet de débordement : Lorsqu’une valeur est activée, d’autres valeurs qui y sont étroitement liées se manifestent automatiquement.
Alors que les valeurs voisines sont compatibles, les valeurs situées à l’opposé du cercle ont rarement le même poids pour une même personne. Lorsqu’une valeur est engagée de manière temporaire, les valeurs opposées (et les comportements qui y sont associés) ont tendance à se supprimer. Comme pour la bascule, lorsqu’une valeur remonte, l’autre tend à descendre. De la même manière, lorsque notre communication active les valeurs de l’universalisme, les valeurs de pouvoir qui lui sont opposées sont affaiblies. Notre groupe cible sera donc plus enclin à laisser ses propres besoins de côté et à venir en aide aux autres. En outre, les valeurs qui sont placées de manière rapprochée dans le cercle sont plus propices à avoir le même niveau de priorité pour une personne. Lorsqu’une valeur est engagée de manière temporaire, elle tend à « déborder » et par là même à renforcer les valeurs voisines et les comportements associés. Cette relation peut produire des résultats étonnants. Les personnes à qui l’on rappelle par exemple les valeurs de générosité, d'autonomisation ou les valeurs familiales sont plus enclines à soutenir des politiques pro-environnementales que celles à qui l’on a rappelé les valeurs du succès financier et du statut et cela, sans que l’environnement ne soit mentionné.
Le groupement d’intérêt public RESACOOP est le réseau Auvergne-Rhône-Alpes d’appui à la coopération et à la solidarité internationale.
Ses activités s’articulent autour de ses 5 missions principales : Observatoire, information, accompagnement, mise en réseau et éducation à la citoyenneté et à la solidarité internationale.
RESACOOP – Groupement d\’intérêt public
Site Lyon (siège)
Campus UCLY – 10 place des Archives – 69288 Lyon cedex 02
Tel. : 04 72 77 87 67 – information@resacoop.org
Site Clermont-Ferrand
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